Il est grand temps de perdre patience

10.05.2018

L’idée existe depuis bientôt 50 ans. Depuis que les « dames bananes » de Frauenfeld ont réclamé de bonnes conditions de production et des prix équitables pour ces fruits jaunes, le commerce
équitable de produits tropicaux s’est fortement développé. En matière de produits fairtrade et d’agriculture biologique, la Suisse est championne du monde. Pourtant, malgré un engagement
sur plusieurs décennies, ni les produits équitables ni les produits bios ne dépassent 10% des parts de marché. A ce rythme, il faudrait plusieurs siècles pour que les 90% restants de nos aliments soient élaborés de telle sorte qu’ils permettent à celles et ceux qui les produisent, en Suisse ou à l’étranger, de mener une vie digne tout en préservant le sol, l’eau, le climat et la biodiversité. Il est donc grand temps de perdre patience.

Presque 50% d’importations

Les deux initiatives sur l’agriculture soumises au vote cette année pourraient accélérer sensiblement le rythme menant à davantage de durabilité dans notre système alimentaire. Ainsi, l’initiative des Verts pour des aliments équitables exige que la Confédération encourage « l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables ». Ces principes doivent valoir tant pour les aliments produits en Suisse que pour ceux importés. Près de la moitié des aliments consommés en Suisse sont produits à l’étranger : des tomates du sud de l’Italie ou d’Espagne récoltées par des émigrées africaines dans des conditions proches de l’esclavage, ou encore de la viande et des œufs provenant d’usines à animaux allemandes, dans lesquelles l’élevage en cage et le recours aux antibiotiques sont monnaie courante. Cette initiative pourrait offrir des chances aux pays en développement : des coopératives de petits paysans ayant une production biologique bénéficieraient d’un soutien ciblé et obtiendraient ainsi des avantages sur le marché face aux grosses exploitations industrielles.

Pas le temps d’avancer comme des escargots

L’initiative pour la souveraineté alimentaire lancée par le syndicat agricole Uniterre entend freiner le déclin continuel de la paysannerie qui menace la diversité de la production, en garantissant
de meilleures conditions de travail et la conservation des terres cultivables aux paysannes et aux paysans. Actuellement, trois exploitations agricoles disparaissent chaque jour en Suisse. La Confédération doit favoriser l’ « agriculture paysanne indigène », qui est « rémunératrice et diversifiée » et produit des aliments sains, écologiques et non transgéniques. Uniterre est membre du mouvement international paysan La Via Campesina, organisation partenaire de HEKS. Elle voit son initiative comme une contribution à un changement de paradigme global au
sein de l’agriculture, propre à renforcer les économies locales et écologiques. Dans le travail qu’elles accomplissent, HEKS et Action de Carême s’engagent aussi en faveur de
cette vision, soit un système d’alimentation qui ne soit déterminé ni par la pression de la croissance, ni par une attitude de surconsommation, mais qui mette l’être humain et la nature au centre. Produire, commercer et consommer des produits régionaux et de saison de manière biologique et équitable, voilà ce qui doit devenir la norme, dans un proche avenir déjà. Car nous manquons de temps pour une politique durable qui avance jusqu’ici au rythme de l’escargot. — Tina Goethe

Cet article est tiré du dossier 02/18 sur le commerce agricole.