La terre source de vie, pas de profit !
« L’entreprise s’est installée en catimini et a cerné notre village de plantations de palmiers sans notre consentement », relate Pak Tontong de Nanga Pari, dans la province indonésienne de Kalimantan occidental*. L’entreprise, c’est Prima Sawit Andalan (PSA), filiale du groupe indonésien Dharma Satya Nusantara (DSN). Des banques suisses sont, elles aussi, derrière les investissements dans l’huile de palme.
A l’instar de nombreux autres villages de Kalimantan, Nanga Pari fait figure d’un îlot au milieu d’une mer de palmiers qui n’a cessé de s’étendre ces dernières années. Meilleur marché que ses concurrents, l’huile de palme entre dans la fabrication de nombreux produits alimentaires et cosmétiques. Avec la Malaisie, l’Indonésie en est le principal producteur et exportateur au monde. Des producteurs et détaillants suisses se fournissent eux aussi en huile de palme en Asie du Sud-Est, la substituant souvent à l’huile de colza produite par des paysans suisses. Dans les supermarchés, un produit sur deux contient de l’huile de palme.
Les conséquences en sont dévastatrices : les monocultures d’huile de palme anéantissent l’agriculture paysanne, synonyme de diversité, et détruisent les dernières forêts vierges de la planète. Ainsi, en Indonésie, des millions d’hectares de forêt tropicale ont déjà été déboisés, Kalimantan, Sumatra et la Papouasie Occidentale étant particulièrement touchés. Les autochtones ont été chassés, leurs moyens de subsistance réduits à néant. S’ils se défendent, ils sont intimidés et souvent criminalisés. L’équilibre écologique est bouleversé. Les plantations de palmiers sont parfois installées dans des marais : lorsque l’on pratique le brûlis ou que l’on met intentionnellement le feu à la forêt, des incendies de tourbière font rage pendant des mois, notamment quand le phénomène d’El Niño est particulièrement marqué. En 2015, ces incendies ont fait de l’Indonésie le premier émetteur de gaz à effet de serre au monde et ont parfois perturbé le trafic aérien de Jakarta jusqu’à Singapour.
Des banques suisses impliquées
Les banques et les sociétés financières sont des acteurs clés du financement de projets qui favorisent l’accaparement de terres. En effet, elles octroient des crédits à des entreprises qui s’emparent de terres agricoles à n’importe quel prix ou lèvent des emprunts en faveur de ces entreprises. Même des banques de développement publiques financent parfois des projets dévastateurs. Exemple de projet dans lequel de l’argent public suisse a été injecté : le défunt partenariat public-privé de la société genevoise Addax en Sierra Leone.
En Indonésie, des banques suisses ont prêté main-forte à des entreprises qui gèrent de grandes plantations de palmiers à huile comme le montre une étude réalisée pour la campagne œcuménique 2017. La banque Safra Sarasin détient une participation à hauteur de 404 millions de francs dans une entreprise d’huile de palme indonésio-malaisienne, Credit Suisse possède lui 10 % des actions d’une entreprise impliquée dans un scandale d’accaparement de terres au Laos et au Cambodge. Il a également investi dans des sociétés actives dans ce domaine en Indonésie (en concédant notamment des crédits à DNS) et, enfin, UBS et d’autres banques ont elles aussi réalisé des placements.
Ces banques, souvent, n’exercent pas leurs responsabilités envers les personnes et l’environnement, contrevenant même à leurs propres codes de conduite. Or, ces pratiques favorables aux investisseurs portent atteinte au droit à l’alimentation de la population locale : sans terre, dans un écosystème détruit, il est impossible de se nourrir. Avec ses partenaires locaux, HEKS étudie la situation sur les plantations financées par des fonds suisses. A Kalimantan occidental, l’œuvre d’entraide soutient ainsi l’organisation Wahli, qui fait des recherches, fournit une assistance juridique aux villages concernés et montre à la population comment elle peut se défendre.
Pas d’argent pour accaparer les terres
La campagne œcuménique 2017 demande aux banques et sociétés financières suisses de cesser toutes transactions finançant l’accaparement de terres.
- Elles ne doivent plus fournir de fonds à des entreprises qui achètent des terres ou investissent dans des projets impliquant l’accaparement de terres.
- Elles doivent aussi retirer les fonds placés, par le biais de crédits ou d’emprunts, dans des plantations de palmiers à huile aux pratiques douteuses, en Indonésie et ailleurs.
- Lorsqu’elles octroient des crédits ou lèvent des emprunts, elles doivent procéder à des vérifications afin d’être sûres de répondre de leurs engagements envers les personnes et l’environnement.
La Confédération suisse doit satisfaire aux mêmes exigences : dans les partenariats publics-privés et dans le financement des banques de développement, elle doit, d’une part, exiger que les droits humains soient respectés et l’environnement préservé et, d’autre part, s’assurer que ces critères seront appliqués.